« La vérité blesse, mais le silence tue. »
Ces mots de Mark Twain ont un écho singulier avec le texte que nous étudions aujourd’hui parce qu’ils dressent deux constats.
La vérité est blessante car malgré cinq réformes successives de l’ordonnance de protection, ce dispositif pourtant essentiel n’est pas encore pleinement efficace et efficient.
Elle est surtout blessante car elle prend le visage des trois cent vingt et une mille femmes qui ont trouvé le courage de dénoncer les violences conjugales dont elles étaient victimes.
Le silence tue parce qu’en 2023, seules 6435 d’entre elles ont souhaité demander une ordonnance de protection.
(Silence)
Oui, les demandes et le nombre d’ordonnances accordées ont augmenté MAIS nous ne pouvons, nous en satisfaire.
Dans un monde idéal, le caractère protecteur de notre Droit devrait convaincre ces femmes victimes de violences intrafamiliales d’oser dénoncer pour mettre fin à ce climat d’insécurité qui règne au sein de leur foyer.
Pourtant, nos efforts sont encore insuffisants et nous devons les rassurer pour qu’elles s’extirpent de l’ombre dangereuse de leur conjoint violent.
Les coups tuent, oui, mais les silences aussi.
En tant que Législateur, comprendre les causes de ce silence est un combat indispensable que nous devons poursuivre.
Lorsqu’on n’a jamais été confronté à une telle violence, il est facile voire simpliste de se demander « Pourquoi restent-elles ? Pourquoi se taisent-elles ? Pourquoi reviennent-elles ». (Silence)
Une question qui peut paraître anodine mais qui est une violence supplémentaire pour ces victimes qui par honte de leur situation se murent dans le silence pour éviter d’être exposé.
Une équation à plusieurs inconnues qui pour elle est plus facile à résoudre par le néant.
La peur des représailles est surement la plus viscérale, la plus destructrice.
Passée cette peur légitime pour celles qui le peuvent, d’autres explications existent.
Ce n’est pas un manque de confiance dans la Justice mais la conscience du manque de moyens de l’institution judiciaire, malgré certaines avancées, qui peut justifier un tel silence.
Se démenant pour être une pierre angulaire dans ce combat, nos magistrats se heurtent à l’obstacle de la faisabilité sans pour autant ne jamais baisser les bras.
Il faut attendre 6 jours pour se voir délivrer une ordonnance de protection dite « classique ». 6 jours, ça peut paraître court mais en 6 jours, tout peut arriver.
En 144 heures, ces femmes pourraient bien payer le prix fort.
Cette proposition de loi anticipe puisqu’elle crée une ordonnance provisoire de protection. Concrètement, la femme victime pourra être protégée instantanément pendant ces 6 jours fatidiques.
Par ailleurs, le juge pourra désormais soumettre à de nouvelles obligations le prétendu conjoint ou plutôt le véritable bourreau, et l’éloigner plus rapidement de sa victime.
Ce texte semble répondre aux espoirs de tant des femmes concernées que des différents acteurs œuvrant dans cette lutte mais faut-il encore y consacrer les moyens humains pour l’appliquer ?
Cette lutte, mes chers collègues, nous ne pouvons qu’y souscrire. Et c’est pour cette raison que le Sénat examine avec intérêt ce texte.
Je tiens ainsi à saluer les travaux de la Rapporteure et de la Commission des lois qui permettent de donner davantage de moyens d’action au juge ainsi qu’au Procureur de la République.
Les débats à venir viendront enrichir ce texte. Je pense notamment à l’adaptation du code civil qui permettrait d’être au plus près de la réalité de la situation de danger dans laquelle se trouvent les victimes de violences conjugales. Une mesure défendue par notre collègue Elsa Schalck.
Plus d’une femme sur trois aurait été victime de violences conjugales durant sa vie, selon le dernier rapport de l’OMS. Il aura fallu attendre ce sursaut salutaire de 2017, pour que ce problème sociétal d’envergure soit entendu.
Espérons qu’il soit enfin compris en donnant à la justice les moyens a la hauteur des enjeux.
En ce 14 mai, 38 féminicides ont eu lieu en France. Le dernier s’est déroulé il y a quelques jours dans ma commune, à Antibes dans les Alpes-Maritimes. Elle avait 33 ans. Elle était maman. L’auteur présumé, a récidivé.
Réjouissons-nous des avancées de ce texte mais restons humble et mobilisés pour repérer et prévenir les violences conjugales car le chantier ne fait que commencer.
Alexandra BORCHIO FONTIMP, le 14 mai 2024
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